L’édition 2023 du festival de Fontaine-Guérin a réuni les membres du NTP pour une brillante version du Soulier de Satin, de Paul Claudel, mis en scène par Lazare Herson-Macarel. Autour d’Hélène Rencurel en Prouhèze et Julien Campani en Rodrigue, les lucioles estivales ont fait merveille. En complément, le NTP a imaginé une proposition inédite pour cette quinzième édition : trois spectacles en forme de créations partagées, en partenariat avec le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Douze élèves de la promotion sortante de cette école ont été invités pour offrir deux spectacles pour le jeune public (Orson et Valentin et Wendy et Peter Pan) ainsi que Le Conte d’hiver, de Shakespeare, mis en scène par Julien Romelard et joué en alternance avec les deux soirées du Soulier de Satin. Se retrouvent ainsi sur scène les interprètes aguerris du NTP et les acteurs en formation qui feront le théâtre de demain. Sur le plateau Jean-Vilar, le brasier scénique enflamme les torchères de l’avenir : communion et transmission ! Philippe Canales, acteur et metteur en scène, responsable du pôle pédagogie – actions de transmission pour le Nouveau Théâtre Populaire, formateur pour la Maison Maria-Casarès, responsable pédagogique et enseignant théâtre au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Angers, a écrit et mis en scène Wendy et Peter Pan.
Comment la nécessité de transmettre est-elle apparue au sein du NTP ?
Philippe Canales : Le NTP existe depuis 2009. Il comptait dix membres au départ. Aujourd’hui, nous sommes 21. Cette initiative repose avant tout sur une volonté d’implantation locale, en collaboration avec le public sans lequel la maison de Fontaine-Guérin ne serait pas devenue une maison de théâtre. Le succès de la souscription populaire, lancée pour acheter la maison, a mis la puce à l’oreille des pouvoirs publics qui ont ainsi mesuré l’importance de notre ancrage local : la communauté de communes de Beaufort-en-Anjou a alors racheté la maison pour la mettre à disposition du NTP. Je suis membre du NTP depuis 2014. Dès cette année-là, nous avons développé un volet de pédagogie et d’éducation populaire. Les premières actions mises en place étaient des ateliers de pratique artistique à Beaufort-en-Anjou, au collège Molière où Jean Bauné avait lancé des innovations pédagogiques autour du théâtre il y a des années, en collaboration avec le théâtre de Beaufort. Je cite Jean Bauné car le NTP est aussi une affaire de fraternité : Jean, comme Jean-Gabriel Carasso, nous a beaucoup aidés et inspirés. Nous avons donc commencé en renouvelant des choses déjà impulsées sur le territoire. Dans ce même esprit, nous travaillons aussi avec le lycée Duplessis-Mornay de Saumur et le lycée Chevrollier d’Angers, mais aussi, dans le cadre de l’éducation populaire, en organisant des stages amateurs avec les jeunes de la Maison Familiale Rurale de Beaufort-en-Anjou. Les choses se sont mises en place petit à petit. Cette année, en septembre, nous avons organisé, à la Maison du Théâtre, un stage professionnel financé par l’Afdas et animé par Emilien Diard-Detœuf et Frédéric Jessua. Au niveau territorial toujours, nous avons fait venir plusieurs classes de l’Entente-Vallée (qui regroupe les communes de Beaufort-en-Anjou, La Ménitré, Les Bois d’Anjou et Mazé-Milon) et le collectif a travaillé avec 200 élèves de 8 classes de primaire à la Maison du Théâtre. Désormais, un quart des membres du collectif habitent sur le territoire à l’année. Les tournées du NTP sont de plus en plus conséquentes. Nous nous voyons souvent et pas seulement l’été ; les représentations du festival constituent l’acmé de tout un processus à long terme, sur plusieurs mois ou années.
Quelle place accordez-vous à l’école du spectateur ?
Philippe Canales : Nous avons beaucoup d’envies concernant ce volet d’éducation populaire. L’été, lors du festival, l’école du spectateur se fait par expérience partagée, à l’occasion des conversations à bâtons rompus. Le public grandit depuis 2009 et nous grandissons avec lui. Nous entretenons des rapports directs avec les spectateurs, qui sont toujours les bienvenus en répétition, et peuvent nous rencontrer le soir. Nous échangeons avec eux à la buvette après les spectacles. Alors que les rencontres en bord de plateau brident un peu la parole, ces contacts directs sont plus propices pour parler des émotions voire des incompréhensions. J’aimerais faire de la formation de formateur, sur le modèle de ce qui se fait à Pont-à-Mousson, lors de la Mousson d’été, en travaillant avec des spectateurs éclairés ou des enseignants pour mieux comprendre le spectacle et élaborer les outils de constitution d’un esprit critique. Il est important de transmettre nos outils aux enseignants, d’être des relais. Tout commence à l’école. Au CRR d’Angers, je donne aujourd’hui des cours à des étudiants qui, en 2009, avaient 8 ans et venaient au NTP. Je comprends mieux que le moment de la représentation n’est qu’une étape qui commence en amont et se termine toujours après, même si le spectacle en reste le point d’orgue. Mettre en place un travail d’action culturelle au NTP tombe sous le sens : il y a autant d’importance à faire faire qu’à donner à voir. Donner à faire est la seule possibilité pour que quelqu’un ait la sensation d’avoir sa place avec nous sur le plateau. Ma réponse aux questions de démocratisation, d’accessibilité, c’est que les spectateurs fassent avec nous. J’ai toujours prêché la création partagée.
Comment articulez-vous enseignement et création ?
Philippe Canales : Ma ligne de conduite artistique se place à cet endroit de création partagée. Le travail avec le CNSAD et le conservatoire d’Angers participe de ce mouvement. Nous avons travaillé cette année avec les étudiants du CNSAD pour la deuxième fois. La première fois, c’était en 2020-21, pendant la pandémie. Claire Lasne nous a proposé de diriger un atelier de sortie et les étudiants sont venus travailler avec nous pendant deux mois, sur Shakespeare, le Grand-Guignol et Plus ou moins l’infini, de Clémence Weil. En avril 2021, nous avons organisé un festival miniature à Beaufort-en-Vallée, dans une grande halle de marché. Ca s’est extrêmement bien passé. Le CNSAD nous a proposé de renouveler l’expérience l’an dernier et nous lui avons proposé des créations partagées, afin que les élèves participent au festival et qu’il y ait dans la distribution des membres de notre troupe, ce qui a créé des échanges très beaux. Une troupe à 40, c’est une épiphanie !
Quel est l’intérêt de la création partagée ?
Philippe Canales : La création partagée permet de reposer, de requestionner le concept de l’amateur, quelle que soit son origine, son niveau de formation ou sa connaissance du théâtre. Se dégage de cette expérience une forme humaine passionnante, fruit de toutes ces expériences forcément hétérogènes. Plus concrètement ça crée des amitiés et permet un partage d’expériences extrêmement riche : on côtoie des âges, des gens, des milieux qu’on n’a pas l’habitude de fréquenter. L’acteur de génie se rapproche beaucoup du très mauvais : on a toujours beaucoup à apprendre et on peut être bouleversé par quelqu’un qui n’a qu’une semaine de pratique théâtrale à son actif. Pour ma part, je travaille de la même manière avec une classe de CE1 et avec des acteurs professionnels. La présence, le regard, les questions humaines qu’on brasse sont les mêmes. Quand on demande à un acteur ou un enfant de penser à un secret et de ne rien faire, la consigne est abyssale pour chacun. Ce n’est pas tant le jeu qui change que le retour qu’on fait à l’acteur : la consigne reste la même mais l’échange est différent. Ce qui nous occupe beaucoup au NTP, c’est de faire un travail de simplicité, de lisibilité des signes. Notre support, c’est le texte : à partir de là, on invente une manière de le porter de la manière la plus exigeante et la plus accessible. Simplifier n’empêche pas l’exigence. Plus la consigne est simple, plus elle est difficile.
Enseigner et jouer, quels rapports ?
Philippe Canales : Je ne sais pas si le théâtre s’apprend, et, quand on l’enseigne, il est toujours difficile de déterminer ce qu’on est en train de transmettre. Je transmets depuis que j’ai 16 ans. L’adage anglais selon lequel « He who can does ; he who cannot, teaches. » m’agace. Pour enseigner, il faut être un bon comédien. Un professeur, un intervenant, quiconque s’engage dans la transmission doit constamment réinterroger sa pratique. Mon défi et mon aventure, c’est de trouver toujours la ligne de crête entre création et transmission.