S’il semble être un « nouveau phénomène », le Screen Circus n’est pourtant pas tout à fait inattendu : son émergence depuis le début du nouveau millénaire peut être replacée en lien avec l’histoire commune du cirque et du cinéma, la démocratisation de la vidéo, la nature hybride du cirque contemporain et la volonté de nombreux artistes de s’inscrire dans un contexte artistique plus large.
Le terme Screen Circus a été introduit par Julien Rosemberg dans l’édito de Stradda n°35 (printemps 2015) et fait référence à un phénomène précis, soit des créations circassiennes contemporaines conçues pour l’écran. Ce ne sont pas des vidéos de promotion ou des captations de spectacles, ni des films documentaires ou de fiction traitant du cirque, ni des vidéos conçues uniquement pour être projetées dans le contexte d’un spectacle de cirque. Au contraire ce sont des œuvres à part entière, créées indépendamment. Écrites ou co-écrites par des artistes de cirque, elles suivent des logiques de production diverses et investissent des supports multiples. Avec un corpus d’environ 200 œuvres – pour le moment repérées – à l’échelle mondiale, le Screen Circus représente un phénomène récent, fragile et peu visible, mais néanmoins extrêmement hétérogène et divers au niveau esthétique.
L’expression Screen Circus semble d’ailleurs faire analogie avec « Screen Dance », qui implique « [...] que la méthode d’appréhension (l’écran) modifie l’activité qui s’y inscrit (la danse) ; il codifie ainsi un espace de représentation particulier et, par extension, [un espace de] signification [particulier] »1
Pour mieux comprendre l’inscription et la médiatisation du mouvement de cirque à travers l’écran, il semble approprié d’utiliser le concept d‘intermédialité. Il décrit, selon Irina Rajewsky, « la totalité des phénomènes traversant des frontières médiales »2 . Il ne s’agit cependant pas simplement d’une juxtaposition de plusieurs médias ou d’un changement de médium. Au contraire, l’intermédialité désigne l’intégration de médias distincts à un ensemble conceptuel, dont les « ruptures et tensions (esthétiques) ouvrent de nouvelles dimensions d’expérience et de perception. »3 Les réalisateurs de Screen Circus négocient avec les codes et langages de deux médias distincts et se voient face au défi de retrouver l’un dans l’autre sans mettre en place une hiérarchisation des codes. Selon le réalisateur français Eloi Prieur « tout l’enjeu se situe dans la rencontre entre les deux arts. Ce que je trouve intéressant, c’est de mêler les langages : trouver où utiliser le langage cinématographique, où utiliser celui du spectacle vivant et surtout comment ils se répondent. En favorisant l’un par rapport à l’autre – en considérant le cinéma comme un support ou le cirque comme un contenu – on perd l’intérêt de cette rencontre ».
- 1Rosenberg, Douglas (2012) : Screendance. Inscribing the Ephemeral Image , p.3, traduit par l’auteur
- 2Rajewsky, Irina O. (2002) : Intermedialität. Tübingen : Francke Verlag. p.12, traduit par l’auteur
- 3Müller, Jürgen (1995) : Intermedialität: Formen moderner kultureller Kommunikation, Münster: Nodus Verlag. pp.31-32, traduit par l’auteur