Aide à la création - Cat. DRAMATURGIE PLURIELLE (printemps 2013)
En 2013, l'Encyclopédie de la parole a entrepris un cycle ambitieux de Suites chorales. A l'instar du spectacle Parlement (2009), dont elles prolongent et amplifient les enjeux, les spectacles projetés reposent tous sur un principe simple : reproduire vocalement, le plus fidèlement possible, une succession (une suite) d'enregistrements variés. Ces documents sonores, impliquant des situations particulières et des figures de langage, sont articulés de sorte à faire entendre toute la richesse et la complexité des paroles les plus ordinaires ou les plus singulières. Reproduire au plus près, ce n!est pas jouer des situations ou imiter des individus, encore moins incarner des personnages, mais traiter musicalement chaque parole enregistrée, dans la richesse et la complexité de ses intonations, de son rythme, de ses jeux d'adresses, de ses mouvements et hésitations réelles. On laisse les situations et les contextes apparai!tre d!eux-mêmes, à travers le seul jeu des voix : un théâtre à entendre. Un des effets les plus troublants du redoublement choral de la parole est celui de dissociation du contexte et du contenu : on prête soudain attention à des manières de discuter, d'écouter, de séduire, d'expliquer, des fac!ons de dire, des tonalités qui étaient jusqu’ici occultées par le besoin de sens. Les paroles les plus banales, les plus triviales, parce qu'elles sont traitées comme des partitions très exactes, se revêtent soudain d'une étrangeté qui nous les fait entendre autrement. Les partitions des Suites chorales se déplient sur trois plans parallèles : la succession de situations clairement reconnaissables et contrastées ; le sens des mots proprement dits, dont l!enchaînement et l!articulation composent un texte en forme de patchwork qui s!éclaire différemment selon les contextes linguistiques ; et enfin, le plan purement sonore ou musical de la langue, qui, la plupart du temps, se confond avec le plan des affects et des intensités. La formation chorale permet de jouer sur différentes sortes de distribution et de division de la parole — harmonies, polyphonies, variations d'effectif. Le chœur orchestre la dissolution des individus dans la forme de la parole elle-me!me, laquelle peut ainsi devenir le vrai personnage de la pièce. En faisant entrer sur la scène les rumeurs, les tournures, les phrase!s et les inflexions de notre quotidien le plus immédiat, les Suites chorales cherchent à renouer avec une des fonctions primordiales du chœur antique : mettre une communauté humaine face à sa propre représentation. En multipliant les styles, les registres, les interprètes, les langues, les fictions, les jeux de composition, le cycle des Suites chorales de l'Encyclopédie de la parole se propose d'élever un monument précaire, mobile et vivant à la diversité des formes orales.
La Suite n°1 ‘ABC’
La première des Suites chorales présente une quarantaine d!extraits de la collection sonore de l!Encyclopédie de la parole. « ABC », le titre donné à cette composition, s'entend autant au sens de méthode que de « premiers pas ». La partition s!attache à exposer quelques linéaments de la parole humaine : le b.a. - ba, le babil, le blabla, le brouhaha, le vocabulaire de base, le plaisir de parler pour parler, le jeu des traductions et la jouissance des langues qu!on ne comprend pas. En traversant des situations qui n!ont rien à voir entre elles, en faisant s!entrechoquer des manières de parler habituellement compartimentées, la pièce expose comme une grammaire empirique de notre oralité commune : un ABC de la parole ordinaire en onze langues, vingt-deux interprètes, et quatre parties.